Partie 5 [Camilo x Graham]

[Graham]

J'avais les chevilles encore trop humides pour vouloir remettre mes chaussures. Je regardais Camilo faire, avant de m'assoir sur le sol. Son commentaire n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd, ceci dit, alors je souriais en silence de ce côté-ci.

" - Dis moi autre chose." lançais-je

Je suppose que Camilo ne faisait pas que parler italien comme je n'avais pas fait que mentir sur mon CV. Pendant ce temps, j'en profitais pour essayer de repasser en revu ce que je connaissais sur moi. Il y a que les choses que je ne voulais pas réellement dire et celles qui me déprimaient qui me revenaient en tête, ça et des trucs vraiment inutiles et pas intéressant.

" - J'ai pas vraiment les yeux rouges, au cas où ça t'aurait échappé." laissais-je entendre

[Camilo]

“-Il n'y a pas vraiment de choses intéressantes à dire.” 

Je réfléchissais à ce que je pouvais bien lui dire sur moi. Mes parents morts ? Oh, ça n'a rien de nouveau ici. Je n'ai pas forcément envie de parler de comment j'ai fini dans la mafia, quoique les deux sujets se rejoignent. Ma vie, depuis 15 ans, c'était ça, la mafia. Tout mes souvenirs étaient liés à mes activités dedans d'ailleurs. Et je ne savais pas quels souvenirs partager avec quelqu'un qui n'en avait pas. Je me gratais l'arrière du crâne, pensif.  Donc, j'ai voulu les énumérer à voix haute, au cas où ça m'aiderait.

“-Je suis entré dans la mafia à 15 ans. Vers mes 20 ans j'étais un vrai petit con, Maïa pourra te le confirmer d'ailleurs.”

Je tuais des gens. Non, pas tant que ça, mais ne serait-ce qu'un, c'est déjà trop. 

À cette révélation, j'ai baissé ma tête vers lui, pour regarder dans ses yeux. Oh, des lentilles du coup ?

“-Et quelle magnifique couleur se cache derrière ces yeux vermeils ?”

[Graham]

Rien d'intéressant à dire ? Ah !

" - On parle d'un type qui travaille dans la pègre, nourrit les pigeons et qui sculptait dans sa jeunesse. Oh et Italien qui plus est. Comment ça, rien d'intéressant ?"

Il y avait probablement cette petite étincelle dans mes yeux, lorsque j'étais réellement content. Pour une fois, ça n'arrivait pas souvent. Je passais un bon moment, et j'espérais qu'il passe le plus lentement possible. Camilo avait ce ton rassurant et son comportement, c'était comme caresser du coton. Tout doux. Enfin, quand il le voulait. Je n'oubliais pas son regard dans l'hôtel.

J'écoutais Camilo parler, longuement. 15 ans ? C'était tellement jeune.

" - Oh, Camilo..."

Je me sentais un peu impuissant face à ses paroles. Il y a tellement de gens qui tournent mal, et qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier parce qu'ils restent humains malgré tout. J'ai ramené l'un de mes genoux contre moi, en le serrant contre ma poitrine. Je n'avais pas non plus envie de le prendre en pitié, et puis, ça n'avait pas tant l'air de lui déplaire. Je n'étais pas très bon pour réconforter les gens.

" - Qu'est-ce que tu foutais à 15 ans pour t'embarquer là-dedans ?"

En énonçant ma question, je relâchais mon genou et me laissait tomber sur le dos, contre le sable. Il était légèrement chaud, avec le soleil, c'était agréable. La couleur de mes yeux ? Oh, oui. J'ai retiré ma lentille droite en quelques secondes, un geste habituel presque mécanique, avant de fermer l'autre oeil et de regarder Camilo avec celui qui me semblait à nu.

" - A ça. Rien de spécial."

[Camilo]

J'ai fait un signe de la main, qui descendait vers le bas, comme pour aplatir le ton de pitié qu'il y avait dans sa voix. Oh, non. Je ne suis pas à plaindre.

“-Je ne faisais pas grand chose, ahaha.”

Je me dis que si je n'avais pas fait ça, je serais mort, ou j'aurais fini toxico dans les rues. Ça aurait été une autre façon d'affronter mon chagrin. Je ne dis pas que j'ai pris la bonne décision en sautant dans le vide comme ça, mais au moins c'est une décision que j'ai fini par assumer.

Je m'asseyais en tailleur, à côté de Graham. J'ai posé mes chaussures entre le creux de mes jambes. C'est idiot, parce que je venais de me lever, mais le voir allongé me donnait envie de m'asseoir. Et ça facilitera la discussion comme ça.

Je me suis penché légèrement au dessus de lui, en prenant appui sur une main que je posais dans le sable. Pour éviter toute chute malencontreuse sur ce pauvre cuisinier.

“-Ne dis pas ça. Ils ont forcément quelque chose de spécial.” lui souriais-je.

[Graham]

Pas grand chose ? Je fixais Camilo, avant de remettre ma lentille avant qu'elle ne s'envole ou ne récupère des grains de sable à l'intérieur. La douleur était horrible, et c'était très compliqué de la retirer ensuite.

" - Tu te rappelle en détail de tes 15 ans, jusque là alors ?"

Il avait tous ses souvenirs, moi je n'avais que des bribes des miens. C'était compliqué à imaginer pour moi, même si je voulais réellement posséder les miens.

Pour ce qui est de mes yeux, j'ai pris un long moment avant de parler.

" - J'ai les yeux de mon père. Pour le reste je ressemble à ma mère, mais j'ai les yeux de mon père."

C'était ce genre de petits détails que je ne voulais pas perdre. Ah, eux ne se rappelaient plus de moi, maintenant. Mais imaginer perdre le visage de sa mère ou de son père...

" - Je t'envie, Camilo."

[Camilo]

 J'ancrais mes bras dans le sable, en regardant loin vers l'horizon. Les grains de sable se faufilait sous mes ongles, et j'acquiesçais à sa question. Si je n'avais pas mes souvenirs, je ne me rappellerais pas de ce que j'avais de la verrerie, je ne me serais jamais lancé dans la sculpture non plus. Je ne serais peut-être pas la même personne, tout compte fait. 

Alors je me demandais ce que ça faisait, de vivre sans souvenirs. De ne plus reconnaître son père, sa mère, et ses enfants. C'est en partie pour ça, que je ne voulais pas perdre les miens, du moins je crois. Ne pas oublier la voix de ma mère,  ni les sermons de mon père. Parce qu'en dépit qu'ils n'étaient pas forcément de bons parents, ça restait les miens. Mes parents, et mes souvenirs.

Je tournais la tête vers Graham. Ses yeux avaient repris leur couleur artificielle, ce rouge éclatant qui cachait toute la beauté de ses yeux derrière. Et je ne savais pas quoi lui répondre, pour ça. Je pensais savoir pourquoi il m'enviait.

“-Je comprends.” dis-je doucement.

Je n'ai pas une vie catastrophique. Mais juste ça, le fait qu'il m'envit, me rappelle l'égoïste et le lâche que je suis. 

“-Mais ne le fais pas.” lui souriais-je.

Parce que lui a préféré sacrifier ses souvenirs plutôt que de laisser d'autres gens souffrir, il ne le sait juste pas. Je ne sais pas grand chose de ce business, mais j'étais dedans, et je savais comment ça marchait. S'il n'a pas ses souvenirs, c'est qu'il n'a jamais pu faire de mal à qui que ce soit.

Tu es remarquable Graham, sur ce point c'est moi qui t'envie.

[Graham]

Je profitais du soleil, à l'abri du vent tant que je me collais au sol. Je fixais le ciel, pensif. Et puis, parfois, j'observais la silhouette de Camilo.

" - Je survivrai pas 3 jours si j'entrais dans la pègre. Puis tu m'as vu ? J'ai la forme physique d'une endive. Je t'envie, ça ne veut pas dire que je suivrai tes pas."

Je riais doucement, amusé par ma propre remarque. Non, je ne comptais pas poursuivre une carrière dans l'un des trois grands groupes criminels. Effectivement, je ne tiendrais pas longtemps. Et infliger une peine à quelqu'un d'autre pour un don capricieux ? Hors de question. C'était déjà un miracle si j'écoutais quelqu'un de toute manière.

" - Je vous rachèterai mes souvenirs, quand je le pourrais. Ce serait quelque chose d'honorable."

Je tenais à le dire pas seulement parce que je le pensais, mais parce que je ne voulais réellement pas que Camilo puisse penser que notre petite amitié - encore fragile - ne repose que sur les intérêts de l'un et de l'autre. Enfin, les miens. Parce que je ne voyais pas ce dont Camilo pouvait bénéficier avec moi.

" - Pourquoi tu restes là, avec moi ?" finissais-je par demander

[Camilo]

Et moi je ne survivrai pas une seconde en dehors de cette marre noire. Sans souvenirs, avec des gens qui se connaissent sans se connaître, les gens aux oubliettes, dans un coin de la rue. J'ai un peu ri à sa remarque sur les endives, ça a marqué une rupture avec mon fil de pensées.

“-C'est moi qui te les vendrais si tu veux.” dis-je, sur le ton de l'humour. Çe serait bizarre, quand même.

En face de moi, le ciel et la mer. Je me demandais si ça avait un nom, l'endroit où la mer rencontre le ciel. L'horizon ? Je voyais plus ça comme le point fixe que l'on cherche au loin. Moi je parlais de l'interstice exacte, où on aurait presque l'impression que le ciel est devenu la mer.

J'ai un peu soupiré, à sa question...

“-Tu vas trouver ça idiot...” 

Hmm, c'était bizarre, et ça paraissait idiot à dire à voix haute.

“-Tu me fais du bien. Je crois.”

Comme une bouffée d'air fraiche. C'était sec, je ne voyais pas comment le dire autrement.

“-Et je ne saurais pas l'expliquer mais...”

J'ai un bon pressentiment avec toi, Graham, vraiment.

“-J'ai confiance en toi. Je ne sais pas pourquoi, c'est idiot parce que je ne te connais pas tant que ça, mais j'ai confiance en toi.”

J'ai passé ma main dans ma nuque, alala...

“-Désolé, c'est pas une réponse forcément bien, mais c'est la seule que je peux te donner dans l'immédiat.”

[Graham]

Je me suis relevé en l'écoutant. Confiance ? Ce mot me faisait une drôle d'impression. Je resserrais le sable sous mes mains, tandis que je sentais ma poitrine se serrer sans comprendre exactement pourquoi. J'allais ajouter quelque chose, et ma bouche s'est ouverte et refermer comme celle d'un poisson rouge. Je n'avais pas envie de le repousser, d'autant plus que c'était plus ou moins réciproque.

" - Elle me suffit parfaitement."

Je me suis recouché dans le sable, fermant les yeux. Camilo avait cet effet de garde-fou, de contenir les lions en cage et les chiens en laisse. Toute cette ménagerie étant la mienne.

" - Je suis loin d'être la petite image parfaite que tu dois avoir de moi. Si tu as été attentif, tu n'as pas seulement mon prénom. Si tu voulais creuser un peu, tu trouverais de sales trucs."

J'ai pris une longue inspiration, me refusant à ouvrir les yeux. Il me parlait de confiance, alors qu'il ne savait que dalle sur moi. D'une main je triturais le sable pour rester composé.

" - Mais, je dois t'avouer que tu as cet effet sur moi aussi, et que je n'ai pas envie que ça s'arrête."

Hop là, c'était déjà beaucoup pour moi de balancer une telle chose. Salut Camilo, on se reverra dans 10 ans pour de prochains aveux. Je sentais déjà mon bas ventre me tirailler avec la nervosité.

[Camilo]

De toute façon, qu'elle lui convienne ou non, comme je l'ai dit, je ne peux pas lui en fournir une autre.  Mais je préférais que ce soit comme ça, que l'on finisse sur une réponse qui lui convient, qu'une réponse vague qui n'aurait pas laissé plus d'indications que ça. Et puis, je n'ai pas menti non plus. J'ai confiance en lui, et je crois que d'une certaine façon il m'aidait à me rappeler de bonnes choses de ma vie. Aussi des mauvaises, mais ça laissait matière à la réflexion, et tant que je pouvais penser, je pouvais tout faire.

“-Je ne creuserai pas.”

Parce que c'est malsain, de s'informer de la vie d'une personne de façon aussi impersonnelle. 

“-Je préfère que ce soit toi qui me parle de ce que tu veux, quand tu le veux. Et si tu veux ne jamais m'en parler ça me va aussi. C'est plus simple comme ça.”

Et c'est comme ça les relations solides aussi. Je n'aimais pas accélérer les choses pour rien.

Il ne peut pas le voir, à cause de ses paupières aux lèvres, mais j'ai un sourire comme ça jusqu'aux oreilles. Même moi j'en venais à trouver ça absurde. Alors je tournais ma tête vers l'horizon, encore une fois, en fermant les yeux à mon tour.

“-Il n'y aucune raison que ça s'arrête dans ce cas.”

De toute façon, après lui avoir promis de venir le sauver s'il se noyait, autant que ça aille dans le sens métaphorique aussi.