Partie 7 [Caleb X Daniel]

[Caleb]

Il est vingt heures, et je suis devant l'immeuble de Daniel. Bon, la porte d'entrée est toujours ouverte (saccagée par des connards de Desmios bien sûr). Je rentre, sans le prévenir d'abord.

Diane a une gueule de bois, donc elle n'était pas trop curieuse au sujet de ma "journée de congé". Je monte les escaliers, un peu perplexe parce que... Sa porte n'est pas fermée ? Whut ?

Je rentre après avoir toqué. 

-Daniiiiiiiiiiiieeeeeeeell ?

Je me gratte la tête. Je vois des paquets de clope et des bouteilles d'alcool ouvertes... ? Oulah...

-Daniel, t'es où ?

[Daniel]

J'ai les yeux un peu rouges, parce que, ouais, j'ai tellement pleuré sur je me serais sûrement desséché. J'ai pas juste revu des bribes de ma vie : j'ai ressenti toute la douleur que j'avais accumulé. La sensation était innommable : mon dos s'ouvrait d'un coup, comme si des ailes cherchaient à se frayer un chemin à travers mes organes.

J'en suis peut-être à ma troisième bouteille. Ou ma quatrième. Pfff, j'sais pas ahahaha. Et je m'en fous, franchement tant que j'arrive à pass-out, c'est cool. 

En allant dans la cuisine pour chercher une autre bouteille, parce que clairement je ne ressentais même pas l'alcool, j'ai croisé Caleb...Bah, merde alors. Qu'est-ce que...Je regarde dehors, il commence à faire noir. J'ai...Perdu la notion du temps.

J'ai commencé à rire, un peu. Putain, j'étais en train de m'enfoncer. Je me fais pitié de ouf.

"-Salut, Caleb." 

[Caleb]

-Wowowowow, Daniel !

Je m'approche de lui, inquiet. Non pas qu'il ne boit pas d'habitude, ça lui arrive, mais au point de tituber, à ça non. Jamais. 

Je le regarde, et je vois son visage rouge et ses yeux humides. Mon dieu. Mon cœur se serre à l'idée de le voir pleurer. C'est la première fois qu'il me montre ses larmes. Je prends la bouteille de ses mains (délicatement, histoire de ne pas le brutaliser), et je l'invite à m'accompagner en le prenant doucement par l'épaule.

-Eh eh eh, mon grand... Tout va bien, qu'est-ce qu'il se passe pour que tu réagisses comme ça ?

Je l'embrasse sur le haut de sa jolie petite tête, nettoyant de mes mains ses larmes ruisselantes.

-Je suis là. Calme toi. Tout va bien. Inspire, expire.

Je ferme la porte à clé et les fenêtres, pour que personne ne puisse nous entendre et nous déranger. 

- Parlons tranquillement dans le salon, d'accord ? Va t'asseoir, j'vais prendre un verre d'eau et un sac en papier au cas où tu recraches tout cet alcool.

[Daniel]

"-Désolé j’ai pas vu l’heure passer."

J’ai aucun mal à parler. Par contre je dois admettre que je galère un peu à marcher. Et que je vois peut-être double. Aussi. Ou triple. Pourtant je ne me sens pas bourré. C’est super bizarre.

J’ai même pas la force de l’engueuler parce qu’il m’a pris la bouteille de mes mains. J’ai l’impression que c’est la chose la plu ironiquement conne que j’ai vécu: mes propres péchés sont en train de me bouffer, alors que pendant des années durant ça me passait au dessus. Putain de merde. 

J’ai essayé de faire comme il a dit. De me calmer, d’essayer de penser correctement. J’espérais que ce soit un cauchemar, que je n’ai jamais essayé de m’en rappeler de ma vie. J’étais en train de pourrir de l’intérieur, de mourir de honte et de colère. Bordel...

Je ris un peu à ce qu’il dit. 

"-Parce qu’en plus de ne pas mourir je peux pas me mettre la murge de ma vie...Uh, ça craint."

[Caleb]

-Tu veux bien m'expliquer tout ça, Daniel ? Je ne peux pas te passer l'alcool parce qu'après, je ne comprendrais rien. Déjà là, je comprends à peine.

Je l'aide à s'asseoir à côté de moi.

-Donc, commence par le commencement. Hier, tu avais besoin de moi, donc je suis là aujourd'hui. Je peux t'aider, ok ?

[Daniel]

Je me suis dit que...Oh, ça devait être la dernière fois que Caleb me voit dans cet état. Je ne pouvais pas me permettre de pleurer. Ou si ? Je suis fatigué, triste et...Oh bordel. 

Je passe mes mains sur mon visage. Je m’enfonçais dans mon canapé. Avec un peu de chance il m’aspirerait, ahaha. Puis j’étais un peu sonné, aussi, je faisais des trucs cons. J’étais con, de toute façon.

"-...Leland à retrouvé des souvenirs de ma vie."

Si seulement il ne l’avait pas fait. J’étais pas sûr de pouvoir pleurer à nouveau, là. Mais intérieurement, je pleurais, oui. 

"-Et j’ai regardé. Tu sais ce que j’ai appris ?"

J’essayais de me calmer. J’ai le visage en bordel, je ressemble à rien...J’ai rigolé, wow. 

"-Mes parents sont des vrais enfoirés. Et ils m’ont abandonné dans les rues, j’avais 7 ans. C’est pas si grave, c’est à peu près l’histoire de tout les gosses de Desmios."

[Caleb]

Je n'ai rien dit. En fait, parler à ce moment là, est-ce réellement utile ? Comment puis-je répondre à ces mots sans avoir connu une telle situation.

C'est horrible parce que, Daniel, je voulais sincèrement l'aider. A le guérir, à réparer sa vie, à retrouver ses parents et les buter sous ses yeux mais... Sont-ce là de réelles solutions ?

Je pense qu'à ce moment, il n'était bon de faire qu'une seule chose : l'encourager à surpasser ça. S'il voulait, il pouvait m'en parler des heures, tout casser sur son passage, pleurer et en vouloir au monde, ce soir, c'était sa soirée.

-Daniel.

Wouah, j'suis bavard habituellement. Là, c'était compliqué...

-Ecoute. Je pense que si tu veux, et si tu te sens assez prêt pour tout me dire en détails, tu peux. Mais après ça Daniel, si tu me permets, il faudra trouver une solution, un remède à tes blessures. Tu comprends ? Je pense que si tu as eu besoin de moi, c'est que tu veux que je t'apporte des conseils. Va falloir faire quelque chose, Daniel. 

Je me gratte la tête. J'me sens terriblement nul.

-Tu comprends... ?

[Daniel]

Je crois que je regardais un peu trop la bouteille qui était posée sur la petite table en face de moi. Juste y penser me donne soif sévère en fait. Ce n’était pas ça le pire, loin de là. Au fait, c’est du pipi de chat.

Mais...Est-ce que j’ai vraiment eu une vie comme ça depuis le début ? Auquel cas, c’est ma normalité. Je ne peux pas sortir de ce quotidien, parce que j’y suis piégé depuis mon enfance. Je ne connais rien d’autre...

J’ai regardé Caleb, pour attirer mon intention ailleurs que sur la bouteille. Sa vie était normale, avant moi. Enfin, c’était sa normalité à Caleb. Mais j’entrais dans la vie des autres comme un poison, parce qu’on m’en a inoculé un, à mon tour. Ma toxicité était flagrante maintenant.

Oh putain.

"-Qu’est-ce que j’ai fait..?"

Je prends mon visage entre mes mains.Je suis foutu. Je suis incapable de changer, de devenir meilleur ou bien. Je n’ai jamais été bien. Ma tour d’ivoire vient de s’effondrer.

"-Caleb, il y a jamais rien eu de bien chez moi." 

Non, je ne suis clairement pas prêt à lui parler de ma vie d’un coup. Moi même je venais de l’apprendre. 

[Caleb]

-Eh !

Je retire ses mains de son visage, mon frère faisait la même chose lorsqu'il faisait ses crises d'angoisse.

-Non mais, ne dis pas ça, ok ? T'es pas un poison, dans ma vie, à moi, Daniel. Et IMAGINONS que tu le sois, bien que ce soit purement hypothétique : pourquoi ne pas changer ? Pourquoi ne pas essayer de passer à autre chose, développer, progresser, devenir meilleur ?

Je lui souris, sincèrement.

-Je crois en toi, Daniel. Sincèrement, si tu veux changer, repartir à zéro; te trouver un travail, te trouver un appartement ailleurs qu'à Desmios, te refaire des amis, te construire une famille, tro...Trouver quelqu'un que tu aimeras...  

C'était brûlant, mes mots. C'était insupportable, ça me prenait à la gorge, mais pour Daniel, je suis capable de tout.

-Alors, je t'aiderai. Je t'aiderai à trouver du travail. Je t'aiderai à partir loin d'ici. Je t'aiderai à te trouver des amis et à te redonner confiance en l'Homme. Tu es jeunes, nous sommes jeunes : tu ne peux pas te tuer moralement si prématurément, Daniel. 

[Daniel]

"-Je connais rien d’autre."

Cette vie, c’est tout ce que j’ai. Enfin, c’est tout ce que j’avais. Il y a un dicton à Desmios: "Revenir sur ses pas peut, soit détruire un Homme, soit le sauver.". Je n’aurais jamais dû revenir sur mes pas. C’est comme si cette personne, d'autrefois n’a jamais été moi. Que j’étais une toute autre personne. Je n’étais pas cette personne. 

Son sourire me brisait, intérieurement. Il n’était pas comme moi, lui. Je n’étais comme personne d’autre, je le concevais enfin. 

"-Je suis déjà mort, depuis longtemps. Je ne devrais même pas être là."

Alors, ça sonne peut-être imagée, mais tout est dit au premier degré, vraiment. La subtilité était moyenne avec moi. Mais, oui j’étais mort. Et pas qu’une fois de ce que j’ai compris.

"-...Tu sais ce que c’est de se rendre compte qu’il n’y a rien d’humain chez toi ? Physiquement, moralement, peut-être aussi."

Je l’ai regardé.

"-C’est terrifiant. Mais...C’est apaisant aussi. Tu ne peux pas souffrir, parce que rien ne t’atteint. Mais les gens autour de toi souffrent, et c’est pas grave. Parce que c’est hors de ta portée, c’est pas une question de souffrance pour toi...C’est une question d’humanité."

J’ai l’impression d’avoir été inhumain pendant des années.