Partie 14 [Graham x Camilo]

[Graham]

Maintenant que Frank était partie, Graham allait devoir faire face à un autre : Camilo. Il le considérait du regard, silencieux. C'était terrible, ce qui se passait dans sa tête. Graham avait l'impression de n'être qu'un pantin bougeant au fil de ses émotions, qui n'avaient aucune raison d'être puisqu'il ne possédait plus aucun souvenir. Il manquait une telle dimension à Graham, tout était flou et vague. Il était compliqué de se sentir heureux, content ou satisfait quand on ne se sentait pas même entier.

" - Oui."

C'était difficile de ne pas se rappeler de lui. Il avait su se montrer très clair et autoritaire sur Graham, difficile de l'oublier. Au contraire de toi, Camilo. Graham grinçait des dents, resserrant ses draps dans ses mains.

" - Je me rappelais aussi d'un prénom, je te l'avais dit. Tu t'en souviens ?"

[Elio]

Il se souvient de lui. 

“-Est-ce qu'il t'a fait du mal ?”

Je comprenais difficilement la raison de la présence de Frank ici. Ou si. C'était toujours, et toujours la même histoire : il voulait me faire du mal à moi, personnellement. La meilleure façon de parvenir à ses fins, c'est de s'en prendre à Graham. Pour ne pas l'effrayer, je faisais cette chose habituelle de venir me poser au bout de son lit. J'avais pris cette habitude de ne pas envahir son espace personnel, lui laisser le temps de se réhabituer à moi. Il a fallu un certain temps pour qu'on s'habitue à l'autre, avant. Nous n'y étions pas encore parvenu.

À la mention de cet autre prénom, je l'ai regardé dans les yeux, plusieurs secondes silencieuses avant de finir par répondre.

“-Oui, je m'en souviens.” 

Il fallait qu'à mon tour, je cache ma propre crainte lorsqu'il nous arrivait de parler du sujet en questions. On en parlait pas tant que ça, plus en coup de vent, pour voir ce dont il se rappelait.

[Graham]

Quand il est venu se poser à côté de Graham, ce dernier se réinstalla lui aussi sur son lit pour pouvoir continuer à lui faire face. Graham secoua la tête, agitant la main.

" - Non, pas aujourd'hui, il ne m'a rien fait."

Enfin, physiquement. Frank avait un don de savoir se glisser sous sa peau et le manipuler comme une petite poupée, lui faire faire ce qu'il voulait. Il savait très bien qu'il était venu pour causer un bordel monstre, et perturber son rétablissement. Mais n'avait-il pas raison ?

" - J'ai besoin que tu me répondes honnêtement, cette fois."

[Elio]

C'est au moins ça de fait. L'idée de savoir qu'il a eu l'audace de mettre ses mains sur Graham me fou de rage. Qu'il cherche à réitérer l'expérience, même, qu'il pense avoir le droit de revenir vers lui après lui avoir infligé une telle souffrance était au dessus de mes forces. Mais... J'essayais toujours de montrer mes meilleurs côtés à Graham.

J'ai relevé la tête. Il était si solennelle, maintenant. Mon coeur battait à la chamade, menaçant d'exploser à chaque seconde qui passait. Sa phrase s'accroche sur les coins de la chambre, se répètent et se répondent dans ma tête. Honnêtement... Ce n'était pas compliqué de faire le calcul, après qu'il m'ait posé une telle question. Mais je craignais l'après-coup, ce qui découlerait de tout ça. C'est de ma faute, et le boomerang revient toujours vers celui qui l'a lancé.

Je n'ai rien dit, en hochant la tête pour toute réponse.

[Graham]

Il pouvait sentir sa nervosité d'ici. C'était drôle, il avait l'impression de pouvoir le faire plier en un regard. C'était ça, l'effet que ça faisait ? Quand l'affection est si forte, qu'elle rend si vulnérable ? C'était désagréable de perdre ses moyens pour quelqu'un, se dire qu'il pouvait nous rattraper de justesse comme il pouvait tout aussi bien nous laisser tomber. Qu'est-ce qui s'était passé, alors, cet après-midi là ? Graham s'était penché un peu plus en avant, forçant sa confrontation sur Camilo. Il n'avait pas envie qu'on lui mente encore une fois.

" - Est-ce que je peux avoir ton nom ?"

De toute façon, qu'est-ce qu'il comptait faire ? S'il lui mentait encore, est-ce qu'il réitérerait sa question ? S'il ne lui mentait pas, que c'était bien Elio, comment est-ce qu'il allait justifier sa question, qu'il avait douté de lui, parce qu'il ne pouvait pas se rappeler de son existence même ? Et s'il était bien Camilo, que faire ? Sa propre angoisse pouvait se lire en lui. La colère et la tristesse trouvaient un moyen de se glisser sous sa peau alors qu'il essayait de soutirer ce dont il avait besoin d'entendre de la part de son prétendu ami en face de lui.

[Elio]

Il n'en était pas moins que je ne me sentais pas de détourner le regard du garçon. Combien même sa propre question me faisait mal, après tout elle signe probablement la fin d'une chose que j'aurais voulu garder, je conserve au garçon un respect suffisant pour pouvoir le regarder dans les yeux, et ne pas lui mentir, cette fois. Je me sens assez désolé de lui avoir menti jusque là. J'ai toujours détesté le mensonge, et je m'en suis pourtant retrouvé complice. Ça a été pour servir mes propres intérêts, je voulais rester avec lui. 

Les mots ne peuvent pas sortir d'une autre façon que de la façon dont ils résonneraient le plus véridique. Ça ne sert à rien de repousser mon échéance.

“-Je m'appelle Camilo.”

[Graham]

Sa poitrine se gonflait en même temps qu'il se redressait, gardant tout l'air accumulé à l'intérieur de ses poumons. Il ne pouvait pas le laisser s'échapper, il fallait que tout reste en lui. Il préféra se tourner, fixant le sol à côté d'eux. Il y avait tellement de chose qui ne faisaient pas sens, alors... Camilo et lui avaient eu une sorte de lien, de connexion, il était content de l'avoir avec lui ici, à l'hôpital. Maintenant, tout sonnait faux. C'était comme si les murs étaient devenu du carton, que rien n'existait, et qu'il ne pouvait tout simplement pas sortir d'ici, jamais. Cette pensée l'angoissait affreusement. Pourquoi est-ce qu'il lui avait menti ?

" - Alors tu savais."

D'abord, ses mains se sont mises à serrer les couvertures, en-dessous de lui. Rien ne le retenait de lui faire autant de mal que Graham avait pu en supporter parce qu'il n'était pas là, parce qu'il l'avait laissé tombé. Graham avait oublié l'essentiel de sa vie, sans possible retour en arrière parce que les jetons ne sont clairement pas à sa portée. Il avait tout fait foiré.

" - Pourquoi est-ce que tu es ici ? Je t'avais complétement oublié, tu aurais très bien pu partir et t'en tenir à ça."

[Camilo]

Je n'ai jamais vraiment arrêté d'être Camilo, en réalité. La ligne qui était censé différencier les deux était que Camilo était responsable de tout ça, tandis qu'Elio ne l'était pas, or la culpabilité ne fonctionne pas ainsi. Ce n'est pas parce que j'ai changé de nom que j'ai changé de vie, l'inverse même : l'ancien nom me ramenait au galop, avec toutes les responsabilités qu'il incombe et ses conséquences.

J'ai ravalé ma salive, dans l'attente de la chose fatidique qui allait briser le silence d'ici peu. Graham, comme si cela n'était pas suffisant, paraissait avoir perdu tout ses repaires. D'un simple mot, celui qui désigne mon nom. Encore une fois, Graham était perdu à cause de moi. Je n'allais pas en arrangeant les choses. J'ai envie de lui dire tant de choses, et s'il veut être en colère avec moi, je prendrais sa colère. Mais au fond, je ne veux pas qu'il me rejette, je ne veux pas qu'il se lasse et finisse par m'abandonner au sort que je mérite. Je veux l'aider, et lui rendre sa vie combien même je suis celui qui l'a a amené à ce point.

“-Je n'avais pas envie de partir, Graham.”

Comment je peux lui faire comprendre que je veux rester avec lui ?

[Graham]

Camilo pouvait l'énerver des fois. Il trouvait réponse à tout, comme si ça allait tout arranger. Ce n'était pas qu'il soit honnête, le problème. Ou peut-être que si. Le fait qu'il soit honnête, sans filtre, qu'il réponde à ses questions peu importe ce que Graham avait à dire, ou pensait. Il ramena doucement une de ses jambes contre lui, pour avoir quelque chose à serrer. Il cala son menton contre son genou, serrant les mâchoires.

" - T'étais censé être mort, c'est ce qu'il m'avait dit. T'étais censé être mort, Camilo."

Graham s'en voulait à lui-même de ne pas avoir pu oublier ça. Son visage, ses paroles, ses coups. Des que ça lui revenait en tête, une grimace se formait sur son visage et il se passait une main sur ses yeux, longuement, jusqu'à ce que les images se soient évaporées.

" - T'es même pas censé être là, avec moi. Il a passé ses nerfs sur moi parce que je te côtoyais. Rien de plus."

[Camilo]

Soudainement, je me suis pris d'un inconfort à être assis sur ce même lit que le sien. Ses émotions me traversaient de part et d'autre, et je ne me sentais pas d'imposer un quelconque rapprochement physique sur lui dans l'état des chose, alors je me suis relevé, à distance raisonnable de Graham. Il est difficile de savoir si c'est la déception qui parlait, ou l'animosité, ou autre chose. L'incompréhension. Ce Graham là ne comprenait rien de ce qu'il a pu se passer, parce qu'à ses yeux elles n'ont jamais eu lieu d'être. 

Mort, oui. Mort enterré sous le cimetière de la mer. C'est la place que je me pensais attribué ce jour-là, sur la falaise, et lui, ce merveilleux garçon dans ce lit d'hôpital était venu me sortir lui-même des ténèbres. Est-ce que ça en valait la peine ? Je crois que même lui ne le sait plus. Mais, ça aussi, c'est une information que je n'ai pas le coeur à lui cacher.

“-C'est toi, qui m'a sauvé.”

J'avais fait un coma bien moins grave de conséquences que celui qui était responsable de sa présence ici, et c'est Graham qui m'avait sauvé. Alors pourquoi moi, je suis incapable de lui mal-être se faisant ressentir. Je me sentais si mal pour Graham, de ne pas valoir mieux qu'un poids mort. Mort, ce que je devrais être moi. Moi, pas Graham.

“-Je sais que ce n'est pas ce que tu veux entendre, mais là où je dois être. J'ai promis de ne pas t'abandonner.”

Hm, quel exemple de choix. Il y a plein de cas pour démontrer le contraire.