Partie 16 [Emilio x Graham]

[Graham]

C'était exactement de ce genre de situation dont Graham essayait de se protéger perpétuellement. Ne jamais laisser les gens l'approcher de trop près, les laisser faire, parce qu'ils sont de passages. Maïa, Ledger, mais pas Camilo. Il aurait pu oublier les autres, mais pas Camilo. Graham se mordait violemment la lèvre en l'observant, essayant de déceler tout sauf de la peine. N'importe quoi, quand avant, quand ils discutaient légèrement.

" - Si je ne le fais pas, tu le ferais, toi ? Tu... Ugh, bon sang, ce type m'a foutu la haine, tu n'es pas un chien qu'on pourrait bousculer par-ci, par-là. Je n'aurais jamais accepté qu'on me parle comme ça, certainement pas d'un gosse."

Il est vrai qu'après tout ce que Camilo avait vécu, que Graham ait été là pour le voir ou non, avait-il seulement un jour chercher à couper les ponts avec toutes ces organisations criminelles ? Il en dépendait peut-être aussi que Graham et la drogue, ça n'avait pas été un combat facile. Il secoua la tête pour faire disparaître ses pensées. Ce n'était pas comparable, il ne le connaissait pas avant.

" - Si je ne le fais pas tu vas continuer à revenir tous les jours avec ton air de chien battu, perdu à ne pas savoir quoi dire ou quoi faire pour te faire sortir toutes ces horreurs de ta tête."

[Camilo] 

Je me demande à quoi ça sert de discuter d'un sujet qui finit toujours par aboutir au même point. Peut-être qu'au fond, je ne veux pas réellement partir, ça aussi ça m'a traversé l'esprit. À rester les pieds enseveli sous la terre, je finirais par perdre Graham à mon tour. Ou si je ne le perds pas, il ne sera plus là de la façon que je le veux. Il ne redeviendra qu'un spectre.

Je me crispais à la mention d'Emilio, comme s'il venait de réveiller un fantôme du passé. Emilio a changé aussi. Le garçon que j'ai connu et vu grandi s'est fait tué en même temps que son père, embrassant son nouveau rôle avec certitude. C'est ça aussi mon problème : ne pas vouloir changer. Qu'est-ce qui restera, si je changeais ?

“-Graham, je n'ai jamais eu autant envie de partir d'ici que depuis que je t'ai rencontré, crois-moi. Mais ce n'est pas à toi de faire ça.”

Depuis mon retour parmi Emilio, les choses ont changés. J'ai l'impression de redécouvrir mes débuts où la limite entre le bien et le mal était encore clair et limpide. C'était être coincé dans les limbes, ma place ne réside ni au paradis ni en enfer mais dans l'entre-deux, où personne ne sait quoi faire de moi. Graham était arrivé et avait chamboulé mon univers.

“-J'ai besoin que tu comprennes que mes actes ont des conséquences, et pas que sur moi. La seule fois où j'ai désobéi à un ordre, on m'a jeté par delà d'une falaise. Lorsque j'ai voulu sortir de tout ça, je t'ai impliqué et tu as failli mourir.” 

Tout ça parce qu'Emilio préférerait me tuer plutôt que de perdre.

[Graham]

Mieux valait ne pas continuer cette discussion. Graham tourna les yeux ailleurs, déçu et frustré. Ce n'était peut-être pas à lui de le faire, mais ce n'est pas comme si Camilo allait s'en charger.

Que Camilo reste ou non, soit le gosse soit Frank allaient se charger d'eux. Dans les deux cas, Graham ne voyait aucune issue. Alors, au fond, être libre ou non ne faisait aucune différence.

Maintenant qu'ils s'étaient plongés dans le silence, Graham ne pouvait pas ignorer ce qui se passait autour d'eux. C'était comme si toute la ville s'était réveillée.

" - Moi je sais pas, mais si tu ne fais rien Frank va t'avoir. Il compte mettre Desmios en pièce et je ne vois pas pourquoi il te laisserait en vie."

[Camilo] 

Le silence de Graham ne m'aide pas. Dans tous les cas, je préfère encore avoir les mains tâchées que de savoir ceux que j'aime en dange, mon choix était irrévocable à ce sujet-là. 

“-Je le tuerai avant qu'il me tue alors.”

Ma pseudo-liberté serait garantie à la mort de Frank qui ne me dérange pas le moins du monde, je me ferais même une joie d'être celui qui s'en charge. Mais elle n'est possible qu'à la mort d'Emilio aussi,  qui en revanche me dérangerait peut-être plus. Du moins, je ne voyais pas la situation s'arranger sans un des deux qui lâche prise. Le phrase “le malheur de l'un fait le bonheur des autres” ne pouvait pas être plus vraie que maintenant.

“-Écoute, je sais que c'est dangereux et irréfléchi. Mais si jamais Frank parvient à ses fins, la situation ici serait peut-être encore pire qu'elle ne l'est déjà, pourtant elle est déjà terrible. Est-ce que tu imagines la ville entière ressembler à la Nurserie ?”

[Graham]

Graham, actuellement, était plongé dans un moment de sa vie où il ne se passait pas grand chose. Il ne se rappelait pas de La Luce, mais ne se rappelait pas non plus de son passé. Il était revenu en arrière, là où rien de bien intéressant ne se produisait pour lui. Une situation déjà floue, dans laquelle s'étaient glissés des personnages qu'il ne comprenait pas plus qu'il en avait des souvenirs.

" - Non, mais je ne veux pas l'imaginer."

Il se rappelait de la Nurserie, quelques heures avant que Frank ne pose la main sur lui, se rappelait de grandes et vagues notions de son enfance, de rituels à faire pour éviter tout contact avec la mafia, des choses à ne pas dire, ne pas faire, ne pas voir. Il observait les alentours avec curiosité, comme s'il était désormais enveloppé de toute cette violence dont on avait essayé de l'éloigner.

" - Tu crois qu'il m'aurait réellement tué, alors ? Ce type, dans le bureau."

Et l'aurait-il fait pour faire du mal à Camilo, ou pour taire ce que Graham disait ? Cette petite pensée le rendait fier, quelque part. Peut-être une fierté suicidaire, mais c'était suffisamment pour prouver quelque chose qu'il ne voulait pas encore affirmer.

[Camilo]

J'ai hoché la tête, pensif. Oui, c'est ça. Il valait mieux ne pas penser à la possibilité d'un monde comme celui que je viens de dépeindre, car même dans le chaos il y a un certain déroulement des choses. Frank ne vise pas une organisation criminelle structurée, il vise l'anarchie. Ce monde est déjà suffisamment au bord du précipice comme ça. Je n'ai pas le mérite d'être un héros, en revanche je ne laisserai pas cela arriver, il faut toujours choisir le moindre mal.

Au rappel d'Emilio, tous les avertissements qu'il m'a laissé me revenait en mémoire. Enfin, je prends conscience que même loin du Manoir, nous ne sommes pas à l'abri tant que nous n'aurions pas quitter le territoire. Il fallait désormais partir. Je revenais vers Graham.

“-Il l'aurait fait. Et je n'ai pas envie que tu pousses ses limites plus que ça. On s'en va.”

[Graham]

Graham reposait ses yeux sur Camilo alors qu'il s'approchait de lui. Il espérait qu'il n'allait pas l'agripper comme tout à l'heure et le guider un peu partout comme un aveugle.

Quelque part, Graham avait justement envie de le pousser à bout. Ils pouvaient être deux à jouer à ce jeu là, et Camilo perdait pieds avec ce gosse. Il jeta un coup d'oeil sur le manoir, en espérant qu'il puisse les voir. Il n'y a rien de pire que la jalousie, et de trop s'accrocher à ce qui nous file entre les doigts et qui se retrouvent entre ceux d'un autre. Cette fois, la main de Graham entre autre.

" - Où veux-tu aller ?"

[Camilo]

Des fois je me demande vraiment ce qu'il se passe dans la tête de Graham. Comment il pensait que ça allait se passer, sérieusement ? En le regardant c'est évident qu'il s'en sort à bon compte, mais si ça n'avait pas été le cas ? A-t-il seulement pensé aux conséquences ? 

“-N'importe où, tant qu'on n'est pas ici.” 

Surtout après les menaces d'Emilio, dont j'ignore le moment où elles prendront effet. Pour le bien de tous, je vais assumer que c'est à effet immédiat. Graham passé devant moi, j'ai passé mes mains derrière ses épaules, comme pour vouloir le cacher au reste du monde. Je suis venu en voiture, ça ne devrait pas nous prendre trop de temps de rejoindre le centre. Même s'il n'y a plus vraiment d'endroit en sécurité depuis aujourd'hui.