Chez Camilo

[Graham]

Le jeune adulte répétait les dernières paroels de Camilo avec beaucoup d'intérêt. Peur de se faire rattraper par l'autre ? Oui, peut-être. Il y avait un peu de ça, de réellement devoir le faire les yeux fermés. Sans les ouvrir une seule fois. Sans douter. Etait-ce simplement permis, de douter, ou est-ce que cela risquait tout autant de compromettre toute la relation ? Après tout, Graham ne faisait que douter, douter des autres. Il n'était à peu près sûr des choses qu'avec Camilo. Même s'il avait douté, ce soir là. Ca avait failli mettre à mal leur relation à eux, pourtant.

" - Il y a aussi autre chose, je pense."

Graham essayait de se remémorer de ses anciennes expériences. Il n'avait plus réellement les images, à peu près le son, surtout ce qu'il avait pensé et ressentit, même si c'était flou maintenant.

" - Tu sais, je crois que c'est aussi le fait de devoir se mettre à nu, devant les autres. Avec tout ce qu'on a de glauque et de morbide et de toxique à offrir, aussi."

Graham se remémorait simplement des souvenirs avec Camilo, et de la manière dont il devait se sentir vis-à-vis de Graham. Est-ce qu'il avait peur de cette relation entre eux ? Est-ce que Graham était comme une sorte de vase précieux qui pouvait se briser à tout instant dans les mains du mafieux ?

" - Il y a quelque chsoe de réconfortant de savoir que l'on peut être accepté malgré tous ses défauts, mais tu ne te demandes pas si toi, tu as franchi une limites inviolable ? En tout cas, j'ai peur des autres comme j'ai un peu peur de moi-même. Je ne me connais pas plus que je connais les autres."

C'était ce qui s'était passé avec Ledger au départ. Il ne lui parlait pas tant, ne le regardait pas plus qu'il voulait lui accorder du temps parce qu'il n'en voyait pas l'intérêt. Il n'avait pas eu envie de dépenser de l'énergie à baisser sa défense pour lui, et ensuite savoir si ça en valait la peine ou non.

[Camilo] 

Ne pas uniquement dépendre de la force de quelqu'un, c'est primordial, pour ne pas dire nécessaire. Graham l'avait lui-même dit plutôt, les étoiles auront le temps de mourir avant qu'il ne se soumette à qui que ce soit. C'est un besoin de force que je comprenais terriblement, chez moi je la traduisais par ce besoin de contrôle que je peux ressentir. Le contrôle, c'est le pouvoir. Et le pouvoir n'est rien de plus que la force. 

Je me redressais de nouveau lorsqu'il m'annonça que ce n'était pas tout, que ça allait bien au delà que de la peur de se dévoiler à l'autre et vice-versa. Le plus effrayant étant que l'autre voit le plus sale, le plus corrompu de notre être. Que l'autre te connaisse bien mieux que tu ne te connaîtras jamais.

Mais d'un autre côté, comme il l'a dit : ça doit être si réconfortant qu'une personne te voit, toi entier avec toute ta colère et ta laideur. Parce que si cette personne est capable d'accepter tout ça chez toi, pourquoi vouloir offrir le contrôle à quelqu'un ?

“-Et ce serait bizarre, que quelqu'un te connaisse mieux que tu ne te connaisses.” 

On se sent vulnérable, incapable de lutter si la personne souhaite nous faire du mal.

[Graham]

Il émit un petit rire, entre l'amusement et la froideur. Ah, c'était peut-être quelque chose que Camilo ne connaîtra jamais, mais il ne pouvait pas lui en vouloir.

" - Personne ne me connaîtra, tout simplement. Pas plus que je ne saurais me connaître. Est-ce qu'avec mes souvenirs, je me rappellerais de tout, dans les moindres détails ? Ou simplement des moments importants ? Alors je ne me rappellerais jamais de tout  ce que j'ai pu dire, pu faire. Seulement de ce que je veux bien voir. Est-ce se connaître, de n'avoir qu'une vision déformé, sélectionnée, de ce que nous sommes ?"

Camilo avait tous ses souvenirs, il pouvait se juger bien plus facilement que Graham pouvait le faire. Ce qui expliquait son apathie tout aussi bien que son impulsivité réactive. Il n'avait pas le temps de réfléchir à tout, surtout lorsqu'on ne lui donnait pas grand chose à cogiter, finalement. Tout se jouait à l'instinct. Mais ce n'était plus vivre, ça se rapprochait bien plus à de la survie quotidienne. Un animal.

[Camilo] 

Ses paroles me trottaient dans la tête. Ce qu'il disait était sensé : on ne pouvait pas se rappeler de tout. Et on se contentait du grand essentiel de nos vies en décidant que précisément ces moments-là définiront notre façon de vivre. Malheureusement, on n'avait pas tous la chance de se raccrocher à des souvenirs d'antan pour se construire. C'est un point sur je serais incapable de comprendre, malgré les efforts que je pourrais faire pour.

Graham n'est-il pas effrayé à l'idée de découvrir des choses terrible sur lui ? Peut-être que nous n'étions pas faits pour nous connaître entièrement aussi, peut-être que nous avions une mémoire sélective pour une bonne raison aussi. 

“-Peut-être que la seule partie que nous sommes en mesure de connaître est celle éclairée par notre conscience. Peut-être que l'important réside dans l'inconscient, auquel nous n'aurons jamais accès. Peut-être Graham.”

Nous sommes obscur à nous-même, souvenirs ou non. 

Pour se connaître, encore faut-il se prendre soi-même comme objet. Mais est-il possible de se connaître soi-même comme on pourrait connaître n’importe quelque autre objet extérieur ? Nous serons éternellement bloqué à notre subjectivité à chaque fois que nous tenterons d'y faire face. C'est là le problème de tout introspection : nous sommes sujet et objet à la fois. 

“-Mais je suis persuadé qu'il y aura toujours quelqu'un pour voir dans ton inconscient quand tu ne le pourras pas, où quand tu ne le voudras pas.”

 Parce que c'est ainsi que les choses vont : les autres voient chez nous ce que nous ne sommes pas en mesure de voir nous-même. 

“-Après, c'est à toi de voir si tu acceptes ce que révèle ton inconscient te concernant.”

[Graham]

Il laissa échappé un petit "mais" trainant, soumis à sa longue et perpétuelle réflexion. Graham avait ce besoin de se connaître, c'était là tout le but de récupérer ses souvenirs. Sans connaissance, il ne pouvait laisser du leste pour personne autour de lui. Il ne savait pas s'il avait la force du verre, du bois ou du métal. Il ne savait pas quels étaient ses défauts et les distinguer de ses qualités.

Tout se jouait à l'impulsivité. Il pouvait se donner tout le temps du monde qu'il voulait pour réfléchir, le jeune garçon fonctionnait de lui-même, et plus naturellement, lorsque justement il s'abandonnait et ne pensait plus.

Il leva simplement la main pour couper ses pensées, et les paroles de Camilo.

" - Ce que j'ai fais, je l'accepte. J'en ai encore le goût dans la bouche. Mais Camilo, ce n'est pas dit que tout le monde le fera aussi. Peux-tu faire la paix avec quelqu'un que tu aimes, même si ce qu'ils ont fait est abominable, ou sujet à risque ?"

Graham était loin d'être un tueur - et tuer est hors de la question bien entendu. Mais Graham avait ses penchants qui le maintenait dangereux pour lui et pour les autres. Tout comme Camilo. Il avait envie de le faire changer d'avis, après tout, lui-même ne pouvait faire la paix avec ça.

" - Mais j'ai l'impression que retrouver ses souvenirs, c'est ouvrir la boite de Pandore. Et je ne veux pas devenir seul, vraiment seul, parce qu'elle est trop lourde à porter à plusieurs."

Graham était loin de pouvoir faire plier Camilo par la force. Il n'avait ni sa carrure, ni ses compétences au combat. Et encore moisn une arme, collé contre ses hanches, ni la détermination de tirer.

" - Je ne sais pas tout de toi, et tu dois en savoir encore moins sur moi, entre ce que je suis capable de te dire, ce dont je suis sûr, et ce que je me garde bien de t'expliquer. J'ai peur que l'on ne soit plus amis après ça."

Ce serait ironique, aussi. D'avoir enfin les souvenirs pour le garder en mémoire, tandis que les liens seront coupés.

[Camilo]

Nos avis recommençaient à se confronter, Graham et moi. Il était vrai que nous avions tous les deux une façon de voir les choses très opposées, mais aussi suffisamment proches. En même temps, nous étions loin d'avoir la même expérience de vie et un peu plus gravement, les mêmes souvenirs. Je me connaissais probablement mieux que lui ne se connaissait lui-même, je ne pouvais pas entièrement comprendre ce qu'il ressentait. 

Et au final, je ne pouvais pas faire changer l'avis d'une personne qui n'avait rien d'autre que le néant derrière elle. Je n'essayais pas de changer Graham, et jamais je ne le ferais. Parce que j'appréciais son amitié tel qu'il me l'offrait, jusque là.

Lorsqu'il termina, j'ai pris la parole.

“- Je ne vais pas prétendre comprendre tout ce que tu dis Graham. Au final je suis bien incapable d'entièrement le faire, et je suis désolé pour ça.”

Mais...

“- On ne devrait pas porter des souvenirs qui ne sont pas les notre. Je sais de quoi je parle, parce que j'essaie de porter ceux de tout ceux que j'ai aimé un jour et qui ont fini par partir. Et c'est un peu comme porter la boîte de Pandore de plusieurs personnes.”

L'amitié n'est pas toujours aussi simple que celle que nous avons, enfin à ce moment précis elle était simple. Je ne pouvais seulement pas prétendre tout comprendre à ce qu'il disait, parce que de mon côté j'avais vu des choses qui dépassait l'entendement, à la mafia. Des choses que personne n'aurait jamais pardonné, et qui le furent malgré tout.

“-C'est sûr ne le fais pas avec n'importe qui, mais c'est encore plus douloureux de voir une personne à qui tu tiens disparaître des mémoires plutôt que d'accepter un peu de son fardeau. C'est niais hein ?”

Je ne sais pas s'il comprenait tout, mais en quelques sortes...

“-Alors...Si on ne peut pas porter ta boîte de Pandore à plusieurs, on peut au moins faire en sorte qu'elle ne t'écrase pas entièrement. C'est ce que tu fais quand tu aimes sincèrement, non ? Et je comprends bien que tu ne me dises pas tout, c'est normal.”

D'ailleurs, je me suis penché pour lui mettre une petite pichenette sur le front, rien de bien méchant.

“-Mais c'est à moi de décider si ça vaut la peine de ne plus te voir ou non. Rappelle-toi que je suis peut-être possiblement pire que toi.”

[Graham]

Il avait perdu son sourire depuis longtemps. Ce qui cassa son humeur maussade, cependant, n'était pas tant les paroles de Camilo, mais surtout son dernier geste.

Décontenancé, Graham se releva un peu, attrapant la main de Camilo doucement.

" - Eh, c'est sûr que je ne risque pas d'avoir ta détermination, Camilo."

Graham ne saurait dire s'il le jugeait ou non. Camilo avait fait ce qu'il avait fait parce qu'il devait le faire. Graham avait aidé des gens à se droguer, avait perpétué un petit business florissant sur le mauvais territoire. Mais après tout, Camilo ne faisait pas ces choses par plaisir. Il n'avait pas réellement tué Russo, après tout ?

Il lâcha sa main qu'il avait maintenu contre ses doigts, comme un dernier rappel. S'appuyant sur la table, le jeune adulte se releva de sa chaise.

" - Hm, on discute beaucoup, et je dois te prendre du temps. Je vais devoir y aller de toute façon."

[Camilo] 

Mon sourire ne s'est fait que de plus belle à sa remarque. 

“-J'en ai assez pour deux, ne t'en fais pas.” 

Au début, pas vraiment. Mais Oden m'a montré qu'il était prêt à prendre le risque, et je n'avais pas besoin de plus. J'étais prêt à donner beaucoup pour notre amitié, peut-être bien plus. Et ça pouvait devenir un problème par la suite. 

Lorsqu'il a lâché ma main, je n'ai pas insisté plus que ça. J'ai eu un petit rictus à sa remarque. Non, il ne me prenait pas tant de temps que ça, et très honnêtement après ce que j'avais fait je n'étais pas forcément sûr qu'il me reste du temps. Après, je pouvais toujours espérer que ça ne se sache jamais, mais c'était vivre dans le mensonge.

“-Je te ramène ? T'as dû faire du chemin jusqu'ici.”

[Graham]

Il secoua la tête, amusé de sa remarque tandis qu'il récupérait sa bière dans sa main pour essayer de la vider un peu. Ca risquait d'être impossible de la finir tout d'un coup d'un seul.

La proposition de Camilo était tentante, mais Graham aimait bien marcher. Autrement il aurait déjà essayer de passer son permis, ou de prendre un vélo pour se faciliter les choses. Non, peut-être pas un vélo. Il serait trop maladroit et dangereux avec un deux roues.

" - Si tu n'as rien à faire, je veux bien passer le peu de temps qu'il nous reste ensemble, oui."

Graham pouvait bien faire un effort. Il était venu jusqu'à chez lui parce qu'il s'inquiétait pour Camilo et leur lien. Camilo allait, venait et disparaissait sans crier garde. Alors..

" - Tu veux bien me ramener chez moi ?"

[Camilo] 

J'attendais patiemment sa réponse, en commençant à rassembler. Il n'y avait pas grand chose sur la table : une assiette, des bières, le pack de bières aussi. Je n'avais pas besoin de grand chose, et j'étais content que Graham ait été plus persévérant que moi ce soir. Je ne l'oublierais pas. 

À sa réponse, je partais déjà pour récupérer des chaussures, et une veste aussi. Il faisait un peu plus frais le soir, des fois ça ne pardonne pas. Je n'étais pas nécessairement sur mon 31 non plus, mais bon. Je n'allais pas bien loin. 

La fin m'a un peu plus surpris, et je me retournais vers lui, mes mocassins à la main. Il voulait que je le ramène chez lui ? C'est vrai que la plupart de temps on s'abandonnait à mi-chemin, et c'est une chose que je respectais. Il ne voulait pas que j'entre chez lui, je comprends. Mais pourquoi ce changement ? 

“-Oui, bien sûr. Laisse-moi deux minutes, le temps que je me prépare.”