Chez Camilo

[Graham]

Camilo était étrangement déprimé en ce moment. Est-ce qu'il s'était passé quelque chose ? D'où lui venait de telles idées noires ? Il n'avait rien à craindre, la mort n'est pas la fin de tout n'ont plus. Enfin, c'était un discours que Graham aurait pu tenir il y a encore quelques mois, avant de l'avoir connu. S'il venait à perdre Camilo, qui était le plus à risque de leur petit groupe, il ne savait pas ce qu'il allait faire, mais ça n'allait pas être glorieux.

" - On peut oui. Je peux fouiller ce que tu as ?"

Graham tapa doucement ses mains sur sa table pour se relever, faisant attention à ne pas renverser son verre. Il questionnait Camilo des yeux, ne sachant pas s'il avait le droit de poser ses mains un peu partout. C'était la difficulté de leur relation : Graham ne savait jamais où placer les limites.

[Camilo]

“-Fais comme chez toi.”

Je le pensais, il pouvait bien faire ce qu'il voulait, je sais qu'il ne fera rien de déplacé. Puis, pour le peu que je cuisinais... Graham fera meilleur usage de cette cuisine que moi de toute manière.

Alors que Graham semblait prendre en centimètres, moi je perdais des miens, m'étalant sur la table, la tête enfoncée entre mes bras. J'ai impression que rien ne peut m'arriver ici, une sensation de sécurité que je ne devrais pas laisser prendre place trop longtemps, autrement le réveil risque d'être très désagréable. Pour moi comme pour Graham.

“-Très sincèrement, je ne suis pas sûr de savoir ce que j'ai mais je suis sûr que tu vas trouver de quoi  nous occuper.”

[Graham]

Graham lâcha un "formidable", s'empressant d'aller chercher dans les placards de l'appartement de Camilo. Contrairement à la dernière fois, ce n'était pas comme chez lui. Il avait l'habitude, et ne perdait pas de temps à regarder dans les mauvais placards. Quand il n'était pas sûr d'une épice, il en faisait tomber un peu dans la paume de sa main et goûtait, se substituant à son odorat inexistant. Tout ce qui passait le test se retrouvait sur le comptoir.

" - Avec ce que t'as, je peux faire un gâteau. J'ai envie de sucré."

 Il jeta un coup d'oeil au dessus de son épaule, vers Camilo pour avoir son approbation. Il pouvait toujours faire autre chose si ça ne lui plaisait pas, mais c'était ce qui lui semblait être le plus évident et le plus simple vu les ingrédients qu'il avait trouvé.

[Camilo]

Hmm... Je pourrais m'habituer à cette vie-la, tout compte fait. Regarder Graham se glisser aisément sur les moindres recoins de la cuisine, dans son petit vêtement de chef étoile. Ahaha, je me demande à quelle genre de vie j'aspire avec lui. Dans mes bras, je fronçais un peu plus les sourcils. Rien que je mérite, de toute façon. 

J'étais si pris dans cette dimension parallèle où tout allait bien dans le meilleur des mondes que les mots de Graham sont venus en second plan, résonnant dans ma tête alors que je tentais d'assembler les quelques syllabes que j'ai entendu pour en faire quelque chose de logique. Hmm ?

“-Un gâteau ? Ça me va !” répondis-je un peu déconcerté

[Graham]

Graham répondit par un doux sourire, avant de remonter ses hanches. S'il ne savait pas ce qu'il avait fait avant, il avait néanmoins repris ses anciennes habitudes. Il passait ses mains sous l'eau, organisait les ingrédients et les ustensiles. Quand il devait cuisiner, il prenait l'espace et le faisait sien. Si Camilo voulait évoluer à l'intérieur, il le pouvait, généralement sous la supervision de Graham.

" - Tu veux m'aider ?"

Il se tournait vers Camilo, qui ne semblait pas le quitter des yeux. Il ne savait pas s'il le déshabillait des yeux ou s'il s'était mis à rêver et suivait le mouvement par réflexe. Avec un sourire espiègle, ses joues prenaient légèrement en rougeur, ses mains se posaient sur ses hanches.

[Camilo]

À un moment, il a fallu que je me résonne moi-même pour arrêter de le fixer comme si je venais de trouver une des sept merveilles du monde. Pouvoir rencontrer Graham me paraissait devenir de plus en plus rare, et ainsi j'avais choisi de savourer chaque instant comme s'il s'agissait du dernier. Une façon de penser qui certes n'est pas la plus joyeuse mais qui au moins me permettait de profiter de lui au maximum de ce qu'il m'était permis. 

“-Oui, bien sûr.”

Je me relevais de ma place, cherchant cette fois à revenir près du garçon. C'était dans ces moments précis que je pouvais ressembler à un petit pantin tout perdu, incapable de savoir où donner de la tête. En cuisine, mes connaissances sont largement limitérs, Graham était le chef de ces lieux, et de loin. 

“-Dis-moi ce que je dois faire.”

[Graham]

Parler du passé alors qu'il n'avait pas ses souvenirs serait comme parler d'un sujet que l'on ne maîtrise pas, mais Graham était persuadé que le regard que Camilo portait sur lui était quelque chose qu'il n'avait jamais expérimenté auparavant. Quelque chose qui le déstabilisait, quand il y pensait beaucoup trop, mais qui était loin d'être désagréable. Il lui tourna le dos, en observant les ingrédients et ce qu'il avait à faire, en réfléchissant qu'elle serait la chose la plus simple à mettre en place.

" - Je vais préparer un bol, et tout ce que tu auras à faire sera de mélanger, ok ? Je vais préparer de la chantilly à côté, vaut mieux que je m'en occupe."

S'il ne remettait pas en doute les compétences de Camilo, et qu'il avait confiance en lui, s'il y a une chose que Graham a retenu est que la chantilly, à faire soi-même, et de la réussir, est similaire à gagner au loto. Il commença à placer, dans un large saladier, des oeufs, du sucre, de la farine, et un léger concentré de vanille qu'il avait laissé là la dernière fois qu'ils avaient cuisiné quelque chose tous les deux. Il savait que Camilo n'utilisait pas toutes ces choses qu'ils achetaient.

[Camilo] 

Hmm, mélanger tout ce qu'il y a dans le bol... Ça m'a l'air dans mes cordes, je crois que je survivrai, ou que la nourriture survivra à moi dans ce cas-là. 

“-Je peux faire ça.” 

Il y a un aspect magique dans le fait de savoir cuisinier : le fait de faire passer la nourriture d'un état où elle n'est pas mangeable à un autre état, pouvant même aller jusqu'à changer l'esthétisme de la chose, en plus de son goût, tout ça par un procédé que je n'arrive pas à comprendre. Oui voilà c'est ça, Graham est un espèce de magicien.

Derrière son épaule, j'observais ce qu'il faisait silencieusement. Est-ce qu'il y a une sorte de sens pour ce qui est de commencer la préparation du gâteau, où ça n'a pas grande importance de commencer avec le sucre, puis d'ajouter les oeufs au fur et à mesure. J'imagine que c'est une question de logique quelque part. La farine est ce qui donnera la forme au gâteau après tout. Hmm.

[Graham]

Graham ne perdait pas de temps pour préparer son propre bol, de sucre et de crème fraiche, avant de la battre avec un fouet. Rien de plus simple, et rien de plus facile à louper aussi. Pour ne pas laisser Camilo sans surveillance, il se retournait et s'adossait au comptoir, le saladier soutenu par un bras et l'autre qui battait la crème vigoureusement.

" - T'en fais une tête, ça va pas te manger."

En fait, c'était même le principe inverse. Mais Camilo avait déjà montré son malaise vis-à-vis de la cuisine, ce qui ne choquait plus Graham tant que ça. Camilo avait moins confiance en lui qu'il ne le devrait pour tout ce qui tourne autour de la cuisine. C'était la raison pour laquelle Graham aimait lui demander de l'aide plutôt que de lui en proposer, le laisser faire et évoluer à son rythme avec lui.

[Camilo]

“-Que tu crois.” répondis-je sur un ton sarcastique

En y réfléchissant de façon plus approfondie, j'ignorais d'où venait ma difficulté à faire de la cuisine. Peut-être le fait d'avoir passé une grande partie de ma vie seul plus qu'accompagné, qui ne m'avait pas donné envie d'évoluer en cuisine plus qu'il ne le faudrait. Sans oublier que la seule véritable amie que j'ai en dehors de Graham n'est pas non plus une lumière dans le rayon gastronomique. Je pouffais légèrement a cette pensée, déjà un peu plus rassuré. Ça me fait me sentir moins seul vis-à-vis de cet aspect là. 

Observant Graham faire, j'ai commencé à mélanger à mon tour tout ce qui se trouvait à l'intérieur du saladier, un peu plus déterminé. Eh bien, c'est loin d'être aussi dangereux que de se battre sous une pluie de balle, mais ça reste un genre de combat quand même, n'est-ce pas ? Enfin, plus pour certains que pour d'autre quand on regarde Graham agir comme un poisson dans l'eau. 

“-Mais bon, ce n'est pas désagréable non plus.”

Une échappatoire ? C'est la dernière des choses que j'ai envie que Graham soit pour moi, il méritait bien mieux que d'être un moyen de distraction pour quand je ne me sens pas au meilleur de ma forme. Maintenant il est possible que j'aimerais que ça soit ça, la plus grande épreuve que je doive affronter en ce moment. Ça ne paraissait pas si insurmontable sous cet angle-là. Le temps me ferait une faveur en s'arrêtant maintenant. 

À l'exception qu'il n'avait aucune intention de ne serait-ce ralentir. En fait, il comptait même faire accélérer les choses de façon drastique. La première chose qui m'a fait arrêté toute activité a été le fracas aigu du verre qui cédait. Quasiment immédiatement, je m'étais redressé, droit et au taquet, pour déterminer la provenance correcte du son. Quelque chose venait de passer au travers de la fenêtre du salon, trop rapide et flou pour que je puisse percevoir ce que c'est, mais l'objet avait rejoint le sol dans un bruit sec, et continuait de rouler. Rapidement, j'avais saisi mon arme que je tenais prêt de moi, prêt à tirer. Hmpf, il fallait garder un oeil sur Graham.

“-Graham, ne bouge pas.”  

Malgré la douceur à laquelle je venais de dire cela, ça restait un ordre. Si tout à l'heure il était ma priorité, maintenant il l'est d'autant plus. De là où j'étais, j'essayais de voir l'objet qui avait été lancé plus tôt, de discerner sa forme et... En comprenant de quoi il s'agissait, je me suis figé sur place.

Une grenade. 

C'était moi le plus proche. Mais. Graham. J'avais à peine eu le temps de dire à Graham de se mettre à l'abri que l'objet explosait déjà, dans un fracas ravageur.