Chez Graham

[Camilo] 

L'odeur salé du plat commença la petite cuisine, et si je n'avais pas déjà l'appétit suffisamment attisé à cause de la mandarine, Graham vient de magnifiquement terminer le travail. Pour lui laisser l'espace nécessaire, je me décale à peine, en faisant bien attention à ne pas me poser près de la source de chaleur, et de causer un accident inutile. Non pas que j'ai deux pieds gauches, mais quelques fois j'ai dû mal à me rendre compte de la distance des choses, elles peuvent paraître plus proche qu'on ne l'imagine. 

"- Tu as tout le temps du monde pour le remercier, maintenant."

Si son affection pour Ledger peut me déranger, il n'en est pas moins que sa sincérité vis-à-vis de l'homme est touchante. J'en souriais doucement, sous le charme de ces mots. Chanceux sont ceux qui se comptent parmi les proches de Graham, et il faut que j'accepte que Ledger en fasse partie, de nous deux ce n'est pas lui qui en a fait le plus baver à Graham. 

Ma tendresse s'est dissipé aussi vite qu'une averse de printemps, pour aborder un sujet plus ancré dans les racines malheureusement. Quelque chose que Graham et moi ne connaissions que trop bien, pour l'exacte opposé de la chose ceci dit. Graham était le consommateur, et moi je suis celui qui répondait à la demande quelque part. Oui, notre relation est définitivement un miracle. Par respect, je ne parlais pas lorsque Graham s'exprimait sur ce sujet, j'imagine que c'est loin d'être simple, admettre que la drogue lui a pris un tel élément de sa vie. Cependant, je me sentais reconnaissant d'apprendre tout cela de Graham, et non pas d'un dossier impersonnel comme ceux que les mafias possèdent par milliers. Autant l'apprendre de lui, et de personne d'autre.

"- T'as pas à avoir honte de quoique ce soit. La dernière personne susceptible de te juger sur ça c'est moi." 

J'ai peut-être jamais touché à la drogue, mais j'ai tué beaucoup de gens, j'ai été addict à quelque chose de bien plus malsain : l'adrénaline. Savior que je peux mourir demain sans le savoir, survivre ou non à une blessure mortelle, pouvoir quitter ce monde en paix tout en sachant que personne ne me pleurerait. Ça m'était passé, mais ça n'a rien d'un comportement sain.

"- Il n'y a pas une bonne façon de faire les choses ou non, il n'y a que tes choix et les conséquences qu'ils ont. Ça a été ta façon de réagir aux épreuves de la vie, et tu as même réussi à surmonter ça. N'aie pas honte."

[Graham]

Bien évidemment. Graham ne relevait plus les yeux de son plat, concentré bien plus sur ce qu'il faisait que ce que pouvait dire Camilo. Il essayait de le réconforter, de le rassurer en disant que ça ne pouvait qu'aller bien maintenant, que c'était du passé probablement, et que c'était qu'une toute petite erreur. Peut-être, peut-être.

Graham risquait de le décevoir sur plusieurs points, et Camilo allait continuer à rester bien ignorant sur le sujet s'il l'aborde sous cet angle. Bien sûr, être à la tête de cette mafia, et lui dire les yeux dans les yeux que Camilo allait continuer ce qu'Emilio faisait n'avait pas été sans conséquence pour Graham. Il s'en était amèrement mordu les doigts d'avoir offert autant à un homme qui continu de répandre un tel poison dans les rues.

Il avait quitté la mafia, et lui avait rendu ses souvenirs, c'est probablement ce que Ledger lui dirait. Lui aussi, ne sait pratiquement rien de ce que ça fait. Qu'il ne fallait pas lui en vouloir, et qu'il n'avait dit toutes ces choses que pour repousser Graham au loin et qu'il ne risque plus rien. Certes, certes.

Plus il réfléchissait, plus il grimaçait, fronçait les sourcils, restaient silencieux. Ce n'est pas rien. Graham avait réussi à s'en sortir et avait replongé aussi sec. Il peut se réjouir que ce soit de la morphine et rien de plus grave, mais quand elle n'aura plus aucun effet sur lui, Graham allait chercher ailleurs. Ce n'est pas comme s'il ne savait pas où chercher de toute manière. Il se rendait la tâche trop facile, et c'était aussi fatiguant que rassurant.

Au final, Graham finit de préparer le plat, qu'il observa un moment, avant d'ouvrir le four préchauffé. Il grimaçait en sentant la bouffée de chaleur se répandre sur son visage, plaçait le plat à l'intérieur, et refermait la porte.

" - Tu as probablement raison."

Mieux vaut ne pas en parler plus que nécessaire.

[Camilo] 

C'est une signature propre à nos relations, la puissance avec laquelle la douceur d'un instant peut se ternir, prendre un registre plus sérieux, plus lourd en ne serait-ce que quelques secondes. Il suffisait de ne pas aborder le bon sujet, poser la question de trop, rire de la mauvaise chose. Est-ce que c'est si grave que ça ? Les choses ne seraient-elles pas pire si je prétendais ne vouloir parler que des bonnes choses, et faire abstraction de la moindre chose qui pourrait le faire sortir de ma zone de confort ? Il n'y aurait plus rien de sincère, et l'aventure dans laquelle lui et moi nous nous lançons perdrait de son sens. Non, j'ai déjà trop de fois gâché les choses pour ne pas être absolument sincère avec lui.

Pourtant, sa réponse aussi était décevante. Pas lui, moi. C'est ce qu'on dit à la va vite, pour mettre le sujet sous la poussière, ne plus jamais y toucher. Retrouver ses souvenirs ne veut pas forcément dire vouloir les ressasser. Je me suis décalé de lui un peu, observant attentivement ses moindres gestes. Tout sauf son visage.

"- Excuse-moi. Je ne voulais pas paraître aussi détaché."

 Comment je peux oser lui dire d'agir comme tel, je n'ai certainement pas son vécu. Graham est maître de lui-même, avec son expérience propre. Je suis mal placé pour savoir ce qu'il ressent.

[Graham]

Pendant un long moment, Graham observait son reflet dans la porte du four en face de lui. Il essayait de réfléchir à tout et n'importe quoi, qu'il fallait peut-être le nettoyer, penser à regarder l'heure pour ne pas brûler les lasagnes, et puis encore et toujours ses yeux revenaient se placer sur le reflet de Camilo, derrière lui. Sa voix se faisait plus douce, voilée par un profond sentiment d'incertitude. Le fait de ne pas savoir si oui ou non, il l'avait blessé. Graham ne saurait pas répondre lui-même si on lui posait la question honnêtement.

" - Ce n'est rien. Je pense que tu ne peux pas vraiment comprendre. Je ne sais pas si tu es déjà tombé dedans, ou si tu as déjà pu observer les effets de la drogue. Si tu veux mon avis, je ne pense pas que tu ais pu vivre ça un jour, ou tu es bien plus résilient que moi."

Parler, mettre un mot sur ce qu'il ressent, les choisir avec soin, ça a toujours aidé Graham à réfléchir plus en profondeur et de manière plus pragmatique vis-à-vis de certaines situations. Non, il n'est pas blessé à cause de Camilo, il peut comprendre une partie de son discours. C'est de l'ignorance, et ce n'était pas dit dans le but de faire du mal. C'était juste maladroit.

" - Dans le fond, je préfère entendre ça, savoir que tu ne connais pas tout ça. Et puis, c'est derrière nous maintenant."

Graham avait du mal à croire à sa dernière phrase, mais ce n'était pas lui-même qu'il essayait de convaincre. Il lança un regard par-dessus son épaule à Camilo, essayant d'apercevoir un changement d'émotion sur son visage.

[Camilo]

Graham avait raison en ce point : Camilo n'était pas en mesure de comprendre, combien même il ne demandait que ça. Il a été de ces mains qui ont tendu de nombreux fruits défendus, mais qui de son côté ne s'est jamais autorisé à mordre dedans, c'est pour cette raison qu'il ne peut pas se permettre de mettre ces deux cas à même échelle, aussi. Ça le dérangeait fortement, de se dire qu'indirectement il était lui aussi responsable du passif de Graham avec la drogue. S'il le pouvait, il se serait échappé de son propre corps, lâche et honteux.

Pourquoi était-ce Graham qui cherchait à lui remonter le moral ? Sans pour autant verser dans la pitié, Camilo serait ravi de pouvoir soutenir Graham sur ce point, même si c'est une étape de sa vie déjà fermée. L'ancien mafieux avait encore du mal à accepter pleinement cette dynamique, il était loin de mériter tout ce qui est en train de se passer, c'était plus qu'il n'aurait jamais pas pu espérer. L'échangerait-il pour autant ? Il n'était pas vraiment sûr de supporter le départ du garçon s'il décidait de partir maintenant. Ce n'est pas une pensée agréable à avoir.

"- Je veux apprendre à te connaître encore plus." murmura-t-il à peine

La drogue a un jour fait partie de la vie de Graham, tout comme celle de Camilo d'ailleurs, mais son impact est diamétralement opposée pour les deux. Dans tous les cas, il ne pouvait pas se permettre d'omettre des détails comme ceux-là et prétendre qu'ils n'ont jamais existé. Camilo voulait connaître Graham, mais pas seulement le beau.

[Graham]

Graham était resté immobile un instant. C'était le temps que prenait les paroles de Camilo pour venir se déposer sur lui, prendre de l'ampleur et avoir un impact conséquent. Un petit sourire s'immisça sur ses lèvres.

Graham avait du mal à se défaire de cette personnalité charmante et curieuse, à la fois humaine et maladroite et élégante qu'était Camilo. Il se retourna complétement pour lui faire face, frottant ses mains l'une contre l'autre.

" - Qu'est-ce qui t'en empêche ?"

Graham préférait leur ton joueur à tous les deux, que ces moments de sérieux qui devenaient trop intenses et étouffants. Surtout sur ces sujets là. Graham ne se sentait pas réellement prêt à en parler, pas plus qu'il n'en avait envie. De plus, il n'avait pas envie de mettre sa nouvelle relation à l'épreuve pour l'instant. Peut-être que leur prochaine routine ne plairait pas à Camilo, peut-être qu'il préfèrera partir et mettre un terme à ce qu'ils ont ? Ca non plus, il n'avait pas envie d'y penser.

" - On a tout le temps pour nous maintenant, Camilo. Et moi aussi, j'aimerai apprendre à te connaître mieux."

[Camilo]

Les choses n'ont jamais paru aussi compliquée pour le repenti qu'est Camilo depuis qu'il n'est plus comptant parmi les maux de cette ville. Une vérité dure à admettre, il n'a jamais vécu suffisamment longtemps une vie digne d'être normale pour savoir la gérer correctement maintenant qu'elle lui tendait grand les bras.  Seulement, Graham est loin d'avoir une vie de tout repos lui aussi. L'erreur à ne pas faire serait que les deux tentent de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas, qu'ils recherchent un semblant de normalité qu'ils ne leur correspond pas. Camilo ne pouvait pas se permettre de ruiner les choses entre lui et Graham, il n'est pas sûr de s'en remettre.

"- Je crois qu'à toi, je n'ai plus rien à te cacher."

Mais aussi longtemps que Graham voudra essayer, Camilo ne se laissera pas impressionner par cette nouvelle aventure. Eh bien, il avait vécu bien plus pire, et moins agréable que de découvrir une personne pour qui son affection est immense après tout. Les traits de son visage se sont adoucis, non pas qu'il ait une mine sévère d'habitude. Les mots de son amour étaient d'une grande aide.

"- Mais je veux que tu me connaissez différemment aussi, maintenant."

Après tout, Graham n'a pas été témoin des meilleurs côtés de Camilo.

[Graham]

Graham trouvait la vulnérabilité et l'honnêteté avec laquelle Camilo s'exposait adorable. Il souriait de plus belle, posant son regard ailleurs le temps de réfléchir à ses prochaines paroles avec soin. Camilo ne ressemblait plus réellement à cette première image que Graham avait de lui, d'un mafieux sanguinaire qui n'aurait eu aucun scrupule à le tuer si l'ordre lui était donné. N'était-ce pas l'une de leur première conversation ? Et voilà là où ça les a amené. La simple idée de faire du mal à l'autre était insupportable. Et puis, le grand était apparu plus humain et moins terrifiant que Graham ne l'aurait cru.

" - T'es un sacré numéro, tu le sais ça ?"

Il examina ses mains un instant, se rapprocha de Camilo innocemment, avant de tendre ses doigts vers lui pour qu'il les prenne. Ils avaient du temps à tuer de toute façon, Graham pouvait bien répondre à ses questions, ou rassurer ses inquiétudes.

" - Chaque chose en son temps. Si tu pouvais tout avoir maintenant, tu ne seras plus satisfait après."

[Camilo] 

Camilo avait l'impression de tourner en rond. Toujours les mêmes inquiétudes, les mêmes craintes, son esprit de torturé n'est pas parti parce qu'il l'a admis à Graham après tout. Justement, la seule chose qui a changé était qu'à présent il donnait une voix à peine plus forte à ses pensées, et surtout, il essayait de les faire parvenir au petit gremlin face à lui.  Dans ses pensées, il n'était ni plus ni moins qu'un homme tout aussi craintif que les autres sur les points les plus importants dira-t-on. Camilo a peur, mais l'idée de perdre Graham est plus grande encore.

Timidement, à cette façon candide que personne n'aurait envisagé chez lui, Camilo  offrait ses mains à Graham. Il lui laissait faire comme bon lui semblait de la peau de ses mains, alors que de son côté il enroulait inconsciemment ses doigts autour de ceux de Graham. Tant qu'à un endroit il pouvait sentir la peau de Graham, il se sentait apaisé. 

Pour toute réponse, il hochait la tête. L'intérêt était aussi de ne pas tout recevoir dès le départ, Graham n'a pas tort. Il fallait tout mériter, et Camilo doit mériter chaque étape passée avec lui.

"- Tu as raison."

[Graham]

Son sourire s'agrandissait alors qu'il récupérait ses mains dans les siennes, et resserrait doucement ses doigts autour des siens. Il l'attirait doucement vers lui, passant ses mains autour de sa propre taille pour poser celle de Camilo dans son dos.

" - J'ai rarement tord."

Graham rigolait doucement, baissant la tête comme s'il pouvait l'atténuer. Doucement, il caressait ses mains dans son dos, se concentrant sur la peau de Camilo et ses doigts.

" - Je crois juste que ça va être long et compliqué. Je dis juste que si on s'en donne les moyens et le temps nécessaire ça pourrait fonctionner. Si on fonce droit dans le mur il ne restera plus rien à sauver."